Né vers 1833 à Miniambaladougou (actuellement au sud-est de la Guinée), ce fils de marchand dyula grandit dans une Afrique de l’Ouest en pleine mutation du fait du nombre croissant de contacts avec les Européens. Le commerce avec l’Europe avait rendu riches certains États africains, cependant qu’une utilisation croissante des armes à feu modifiait la guerre traditionnelle. Ses parents avaient abjuré l’islam pour se convertir au paganisme.
En 1848, la mère de Samory, Sokhona Camara, fut capturée pendant un raid mené par Sory Bourama, du clan Cissé, et réduite en esclavage. Ne disposant pas de l'argent nécessaire pour la racheter, il dut, pour obtenir la libération à terme de sa mère, se mettre au service des Cissé auprès desquels il apprit le maniement des armes. D'après la tradition, il resta à leur service « sept ans, sept mois, sept jours ».
Il s'engagea ensuite pour deux ans dans l'armée de Saransware-Mori, faama (dirigeant militaire) des Bérété, ennemis des Cissé, avant de rejoindre son propre peuple, les Camara. Nommé kélétigui (chef de guerre) à Dyala en 1861, Samory prononça le serment de protéger son peuple contre les Bérété et les Cissé. Il créa une armée professionnelle et nomma ses proches, notamment ses frères et des amis d'enfance, à des postes de commandement.
En 1864, El Hadj Umar Tall, le fondateur d'un empire en pleine expansion qui dominait la région du Haut Niger, l'Empire Toucouleur, mourut. Tandis que cet Empire se désagrégeait, les généraux et les dirigeants locaux luttaient pour créer leurs propres États.
En 1867, Samory était un chef de guerre à part entière, possédant sa propre armée regroupée à Sanankoro dans les hautes-terres guinéennes, sur les bords du Haut-Milo, un affluent du fleuve Niger et il comprit vite qu'il avait deux tâches primordiales à accomplir : créer une armée efficace et loyale dotée d'armes à feu modernes, et se construire un État stable. C'est à cette époque qu'il se convertit à l'islam, conscient que la cohérence de son royaume reposerait notamment sur la religion. Du reste, le titre d'« almami » qu'il adopta en faisait un chef à la fois temporel et spirituel.
En 1876, Samory put importer des fusils à chargement par la culasse par l'intermédiaire de la colonie britannique du Sierra Leone. À la tête de son armée, composée essentiellement de fantassins armés d'un sabre, d'un poignard et d'un fusil, il conquit le district de Buré, riche en or (actuellement à cheval sur la frontière entre la Guinée et le Mali), en vue de renforcer ses finances. En 1878 il était assez puissant pour s'autoproclamer faama (« dirigeant militaire ») de son propre Empire Wassoulou. Il fit de Bissandougou sa capitale et entama des échanges commerciaux et diplomatiques avec l'Empire Toucouleur voisin et déclinant.
En 1881, après une dure lutte, Samory était capable de sécuriser son emprise sur Kankan, ville clé du commerce Dyula, située au bord du Haut-Milo. Kankan était un centre du commerce de la noix de kola, et bien positionnée stratégiquement pour contrôler les routes de commerce avoisinantes. En 1881, le Wassoulou s'étendait en Guinée et au Mali, depuis l'actuel Sierra Leone jusqu'au nord de la Côte d'Ivoire.
Pendant que Samory conquérait les nombreux petits États tribaux qui l'entourait, il manœuvrait aussi pour sécuriser sa situation diplomatique. Il entama des relations régulières avec les Britanniques au Sierra Leone, et tissa des liens prometteurs avec l'État théocratique du Foutah Djallon.
À la fin des années 1870, les Français commencèrent à s'étendre en Afrique de l'ouest, à partir de l'est du Sénégal avec pour but d'atteindre le haut Nil dans le Soudan actuel. Ils cherchèrent aussi à progresser vers le sud-est pour atteindre leurs bases en Côte d'Ivoire. Ces mouvements les conduisirent à un affrontement direct avec Samory.
En février 1882, une expédition française attaqua une des armées de Samory qui assiégeait Keniera. Samory réussit à repousser les Français, mais il fut effrayé par la discipline et la puissance de feu des armées européennes.
Samory essaya de neutraliser les Français par plusieurs moyens. Premièrement, il étendit sa domination vers le sud pour sécuriser une ligne de communication avec le Liberia. Quand une expédition menée par le gouverneur colonial français du Soudan, Antoine Combes, tenta en 1885 de prendre possession des mines d'or de Buré, Samory contre-attaqua. Divisant son armée en trois colonnes mobiles, il réussit à menacer gravement les lignes de communication françaises obligeant ses adversaires à se replier.
Cependant, le combat avec l'armée française tournant à son désavantage, Samory préféra négocier. Le 28 mars 1886, il signa avec les Français un traité de paix et de commerce qui reconnaissait, sur la rive gauche du Niger, un importante zone d'influence française.
En 1887, Samory pouvait compter sur une armée disciplinée comprenant de 30 000 à 35 000 fantassins, organisés sur le modèle européen en pelotons et compagnies, et 3 000 cavaliers, répartis en escadrons de 50 hommes chacun. Cependant, les Français étaient déterminés à ne pas laisser Samory consolider ses positions. En exploitant la rébellion de plusieurs tribus animistes soumises par Samory[réf. nécessaire], ils continuèrent de s'étendre aux dépens des régions ouest de l'Empire, forçant Samory à signer des traités par lesquels il leur cédait ces territoires entre 1886 et 1889 (traité de Bissandougou, traité de Niakha).
En mars 1891, une expédition française sous le commandement du colonel Archinard lança une attaque directe sur Kankan. Sachant que les fortifications de la ville ne résisteraient pas à l'artillerie française, Samory engagea une guerre de mouvement. En dépit des victoires qu'il remporta contre des colonnes françaises isolées (Dabadougou en septembre 1891), Samory échoua à chasser les Français hors du cœur de son royaume.
En juin 1892, le successeur du colonel Archinard, le colonel Humbert, menant une petite force bien équipée de soldats triés sur le volet, captura Bissandougou, la capitale du Wassoulou. Un autre coup dur pour Samory fut l'arrêt des ventes d'armes par les Britanniques, soucieux de respecter la convention de Bruxelles de 1890 - la restriction des ventes d'armes étant, selon cette convention, nécessaire à l'éradication de l'esclavage des populations africaines.
Évitant un combat qui lui aurait été fatal, il mena une politique de la terre brûlée, dévastant chaque parcelle de terrain qu'il évacuait. Bien que cette tactique le coupa de sa nouvelle source d'approvisionnement en armes, le Liberia, il réussit tout de même à retarder la poursuite française. Samory se replia vers l'est, vers les fleuves Bandama puis Comoé. Dès lors, sa présence fut négligée par l'armée française, dans la mesure où le nouvel établissement de Samory ne constituait plus un objectif stratégique de la politique coloniale française.
L'affrontement fut relancé par l'attaque opérée par un des fils de Samory contre un bataillon français, qui fut anéanti. Cette action déclencha une campagne française de représailles au printemps/été 1898, au terme de laquelle Samory fut capturé au petit matin du 29 septembre 1898 à Guélémou par le capitaine Gouraud et exilé au Gabon. Samory y mourut en captivité le 2 juin 1900, des suites d'une pneumonie.
Samory fut sans doute l'adversaire le plus redoutable que les Français eurent à affronter en Afrique de l'Ouest. C'est pourquoi il apparaît, dans l'historiographie nationaliste post-coloniale, en figure de héros de la résistance africaine à l'expansion coloniale.
La pièce de théâtre de Massa Makan Diabaté Une hyène à jeu (1988) est inspirée de la signature du traité de Kéniéba-Koura par Samory Toure en 1886, qui cédait la rive gauche du Niger à la France.
Le groupe guinéen Bembeya Jazz National commémora Samory Toure dans leur album Regard sur le passé sorti en 1969. L'album loue la résistance anti-coloniale de Touré et ce début de construction nationale pour la Guinée.
Le chanteur ivoirien de raggae Alpha Blondy composa le titre Bory Samory (publié en 1984 sur Cocody Rock) en la mémoire de Samory Touré.
Sources:
J. F. A. Ajayi (dir.), L’Afrique au xixe siècle jusque vers les années 1880, vol. VI de Histoire générale de l'Afrique, UNESCO, Paris, 2011
A. A. Boahen (dir.), L'Afrique sous domination coloniale 1880-1935, vol. VII de Histoire générale de l'Afrique, UNESCO, Paris, 2011
Julie d'Andurain, La capture de Samory, 1898 : l'achèvement de la conquête de l'Afrique de l'Ouest, Soteca, Saint-Cloud, 2012
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