L'abolition de l'esclavage il y a plus de 160 ans en Colombie n'a pas éteint le "palenque", la langue des esclaves africains qui ont conquis leur liberté dans la montagne surplombant les Caraïbes, dans le nord du pays, un trésor encore entretenu aujourd'hui.
Mélange unique de bantou et d'espagnol, ce langage créole est né à San Basilio de Palenque, un village fondé au début du XVIIe sur les hauteurs de Carthagène, principal port de la traite négrière à l'époque coloniale du vice-royaume de Nouvelle Grenade.
Parlé autrefois par les esclaves dits "marrons", des fugitifs ayant trouvé refuge dans cette enclave, le "palenque" est officiellement pratiqué encore aujourd'hui dans une école de cette commune, inscrite au patrimoine culturel immatériel de l'humanité de l'Unesco en 2005.
L'établissement a ouvert ses portes en août 2011, plus de 160 ans après le décret du 21 mai 1851 abolissant l'esclavage dans ce pays où 10,4% de la population est d'origine africaine (selon le dernier recensement de 2005). Il accueille 403 élèves, en majorité de jeunes adultes.
"Ils parlent très bien palenquero. Très souvent, ce sont même eux qui nous corrigent", affirme à l'AFP Basilia Perez, une professeur de 43 ans qui met au service de l'alphabétisation du village tous les aspects de sa culture, des traditions vestimentaires ou musicales aux rites funèbres.
Ses étudiants ne sont pas seulement les rares personnes connaissant ce dialecte hérité du centre et du sud de l'Afrique, régions où ont été arrachés les esclaves envoyés en Colombie. Ils sont aussi ceux qui en perpétuent la tradition dans ce village divisé en deux quartiers.
"Le quartier du haut fut le premier à être bâti. C'est là qu'arrivèrent les Africains qui parlaient des langues bantoues. Le quartier du bas fut constitué plus tard par la population qui parlait espagnol", raconte à l'AFP Justo Valdes, un chanteur de 60 ans, directeur d'un groupe de musique local.
La conservation de la langue palanquero tient aux origines même du village, où cette communauté s'est maintenue à l'écart du reste du pays durant des siècles, restant repliée jusqu'aux années 30 du XXe siècle.
Cet isolement a d'abord été forcé, en raison de la persécution des esclaves "marrons", dont l'un des leaders Benkos Bihoho, le fondateur du village, fut exécuté en 1621.
Il a fallu attendre un décret royal de la couronne d'Espagne en 1689 pour mettre un terme, non à l'esclavage, mais à la fin des poursuites judiciaires visant à récupérer les propriétés terriennes occupées par ces anciens esclaves.
Faute d'avoir pu "en finir avec cette communauté", ce décret a "ainsi consolidé son autonomie", souligne auprès de l'AFP l'historien Alfonso Cassiani, enseignant à l'Institut international des études caribéennes de l'Université de Carthagène.
"La langue palenquero et les coutumes qui y sont attachées montrent la richesse et la diversité culturelle de la Colombie, mais ce sont aussi des trésors qui dépassent la communauté et constituent un héritage des esclaves marrons", insiste M. Cassiani.
Un héritage qui reste toutefois toujours sous la menace de l'oubli. Sur les quelque 4.500 habitants de San Basilio, seulement 1.390 maîtrisent cette langue. Plus inquiétant, parmi les enfants de 5 à 14 ans, ils ne sont que 26 à connaître le palenquero, selon une étude du ministère de la Culture.
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