Les causes profondes de l'insurrection du sud de la Martinique de 1870 furent le mécontentement social, le mépris raciste et les iniquités engendrés sous le Second Empire. Cette soif de dignité, cette haine de tout ce qui rappelle la période esclavagiste (vieille de seulement vingt ans) est partagée tant par les hommes que par les femmes (tout comme elles jouèrent un rôle significatif en 1848; au procès, l'Accusé Tibérinus déclare:
" A la Rivière Pilote , le 22 au soir, beaucoup de monde....c'était une espèce de liberté, il y avait beaucoup de femmes...."
Un mulâtre hostile à l'insurrection témoigne:
" vers huit heures, les femmes disaient : les mulâtres se figurent qu'ils n'ont pas de sang nègres, c'est ce que nous allons voir bientôt ".
Dame veuve Perrier, commerçante blanche victime de ce 22 septembre précise :
"Pendant la nuit, les femmes disaient: allons mettre le feu...Parmi ces voix, j'entendis distinctement celle d'Antoinette...."
Lumina Sophie (dite Surprise) avait 19 ans lorsqu'elle fut à la tête de 600 insurgés, elle montait les mornes de Rivière-Pilote en brûlant, pillant, les habitations tenues par des colonialistes qu'elle massacrait.
On la compare souvent à Solitude, l'héroïne de la révolte de la Guadeloupéenne de 1802. On connait l'importance de Lumina Sophie par les plaidoiries et les débats la concernant, dans les deux séries de procès après son arrestation. Elle était couturière et enceinte au moment de l'insurrection.
Comme Solitude, elle accoucha en prison. Elle stimulait les troupes, menaçait les hésitants, et désignait les habitations à occuper et à brûler. On l'a rendit même responsable de la destruction de trois grandes exploitations. Mais il ne semble pas qu'elle ai volé pour son compte durant les pillages.
Cette femme révoltée était radicale et totale , comme l'indique par exemple la célèbre phrase prononcée par elle et rapportée par plusieurs témoins ainsi que par le procureur Fournier et par le gouverneur; alors qu'un de ses compagnons lui repprochait de mettre le feu à un moulin , instrument de travail pouvant servir à d'autres que les maîtres , Surprise se serait écriée :
"Si Bondyé té ni an kaz, an té ké brilé’y pas sé dwèt an vyé bétjé !" [si le bon Dieu avait une maison, je la brûlerai aussi , parce qu'il doit être un vieux béké!]
Elle fut punie pour son exaltation, pour sa volonté de faire de la Martinique, par le feu et le pillage, une République Noire, mais on lui refusa la possibilité d'avoir été un chef. Il était inconcevable qu'une femme de 19 ans, noire et enceinte de surcroît , ait pu être à la tête de troupes. La courte plaidoirie de Me Guèze, son avocat lors de la première série de procès du 15 avril demanda et obtint le non-lieu , est révélatrice de ce refus d'accorder à Surprise des qualités de commandement.
Mais Surprise fut perçue à coup sûr par les contemporains comme un symbole, à l'exemple de Solitude, de Louise Michel (la Communarde) , de toutes les femmes qui , depuis Jeanne d'Arc , dépassant leur condition , ont voulu participer à un conflit armé .Elle rejoignit pourtant le sort commun des insurgés de la seconde série de procès, et fut condamnée comme la plupart des femmes , pour incendie et pillage , aux travaux forcés à perpétuité .Condamnée pour un rôle de commandement , elle aurait risqué la mort.
A la différence des Pétroleuses (femmes qui brûlaient les habitations) embarquées en Nouvelle-Calédonie, les Martiniquaises furent envoyées à Cayenne, bagne plus proche, réservés aux condamnés coloniaux, fermé depuis 1867 aux "métropolitains" qui ne supportaient pas le climat. A la différence des Pétroleuses également, aucune n'en revint. Même celles qui réussirent à survivre et qui, en 1880, bénéficièrent de la loi d'amnistie, semblent avoir subi la dure règle du bagne qui obligeait à la résidence perpétuelle, même après la libération, toute théorique de ce fait. En effet sur leurs fiches matricules, il n'est jamais question de retour. Elles furent obligées de se marier avec des bagnards, ce fut le cas de Lumina Sophie qui fut mariée au bagnard libéré Marie Félix le 4 août 1877.
Lumina Sophie est morte à Saint-Laurent du Maroni le 15 décembre 1879.
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