Le soulèvement du nouveau Moïse noir est vite réprimé dans un bain de sang faisant des centaines de morts.
Une féroce clameur est poussée par la foule lorsque Nat Turner se balance enfin au bout d'une corde. Des hommes se précipitent sur le cadavre pour le décrocher, le jeter à terre et lui arracher ses haillons. Mais cela ne suffit pas à assouvir leur rage. Certains commencent à l'écorcher. D'autres arrachent des lambeaux de chair pour en tirer de la graisse. Un homme saisit la tête pour la découper avec un grand couteau. Il repart, fier comme Artaban, avec son hideux trophée.
Pourquoi tant de haine ce 11 novembre 1831 ? C'est que les petits Blancs de Jérusalem, bourgade de Virginie, ont eu horriblement peur. Autant que les habitants de Neuilly apprenant l'élection de Hollande à la présidence. Ils ont eu peur d'être tous massacrés dans une révolte massive de leurs esclaves. Et l'homme responsable du soulèvement, c'est ce Nat Turner, qui vient d'être pendu. Durant deux jours, celui-ci a mené la première rébellion d'esclaves des États-Unis. Sous son commandement, environ une cinquantaine d'esclaves ont assassiné 59 hommes, femmes et enfants blancs. Sans pitié, cruellement. D'où l'ire de la foule, que le shérif et ses hommes n'osent pas contenir.
La lutte contre le Serpent
Nat Turner naît en 1800 dans une petite ferme de Virginie. Son père disparaît quand il est encore jeune. On prétend qu'il aurait brisé ses chaînes d'esclave pour trouver refuge dans le nord du pays. Nat s'avère être un enfant précoce, mais surtout excessivement croyant. Très jeune, il apprend à lire et à écrire. Quand il ne travaille pas dans les champs, il est plongé dans sa Bible. Mais cela va plus loin : il a des visions ! Le Saint-Esprit lui apparaît et lui fait des recommandations. Nat se prend pour un nouveau Moïse chargé de libérer son peuple de l'esclavage. Comme son père le fit autrefois, il tente de s'enfuir de la plantation. Il a alors 22 ans. Mais après un mois de disparition, le voilà de retour. Il explique que Dieu lui aurait donné l'ordre de retourner au bercail pour accomplir son destin.
Impressionnés par son intelligence et son instruction, les autres esclaves l'appellent le Prophète. Dans sa vingt-huitième année, le 12 mai 1828, très exactement, l'Esprit consent enfin à lui envoyer un texto pour lui expliquer ce qu'il attend de lui. Il a une nouvelle vision. "J'ai entendu un grand bruit dans le ciel, et l'Esprit saint m'est apparu." Il lui demande de poursuivre la lutte contre le Serpent, c'est-à-dire contre les Blancs qui maintiennent ses frères en esclavage. Il met aussitôt quatre autres esclaves dans la confidence. Il faut qu'ils se tiennent prêts à prendre les armes. Quand ? Quand Dieu leur enverra un signal. Alors, Nat et ses adeptes prennent leur mal en patience. Il leur faut attendre presque trois ans. Le 11 février 1831, le feu vert leur est donné sous la forme d'une éclipse de Soleil annulaire. Pour Turner, c'est évident : l'obscurité étreignant l'astre solaire symbolise la révolte des esclaves noirs contre leurs maîtres blancs. Les comploteurs décident d'attendre le 4 juillet 1831, date anniversaire de l'indépendance, pour passer à l'attaque.
Frapper les Blancs de terreur et d'effroi
Mais ce jour-là, Turner est malade, aussi repousse-t-il le soulèvement. Le 13 août, le ciel s'obscurcit mystérieusement en pleine journée. Turner l'interprète encore une fois comme le signe de Dieu tant espéré. Pas du tout, c'est probablement la conséquence d'une mégaéruption du mont Saint Helens qui disperse dans l'atmosphère des millions de tonnes de poussière. Une confusion qui explique certainement l'échec du soulèvement... La décision est prise de passer à une nouvelle attaque dans la nuit du dimanche 21 août, alors que tous les maîtres dorment. Les cinq conjurés se donnent rendez-vous près d'une mare. Vers deux heures du matin, ils se dirigent vers la demeure du maître de Turner. Rien ne bouge. Chacun tient dans le poing un couteau, une bêche, un marteau ou encore une hache. Travis et son épouse succombent dans leur lit. Leur enfant est à son tour massacré, puis deux jeunes apprentis présents dans l'habitation. Les cinq hommes entament alors une randonnée mortelle de 36 heures durant laquelle ils assassinent 58 Blancs, hommes, femmes et enfants. Dans sa confession, Turner justifie ce massacre aveugle par le désir de frapper les Blancs de terreur et d'effroi. Si le soulèvement s'était poursuivi, dit-il, il aurait alors épargné les femmes et les enfants, ainsi que les hommes qui n'auraient pas résisté.
Mais voilà, Turner n'est pas prophète en son pays. La plupart des esclaves réveillés par les cinq révoltés ne veulent pas les suivre. Ils ont la pétoche. Ils restent terrés dans leurs cases. Finalement, seulement une soixantaine d'hommes acceptent de suivre Turner. C'est trop peu. Avec l'astre solaire qui s'élève à l'horizon, cela en est fini de l'effet de surprise. L'arrivée des esclaves armés sur les plantations est vite détectée. Les propriétaires ont le temps de se barricader et de prévenir les voisins. Alors, le Moïse noir décide de diriger sa maigre troupe, désormais à cheval et équipée de fusils volés, vers Jérusalem, le siège du comté. En chemin, elle se heurte à un premier groupe de planteurs armés de fusils de chasse. Les esclaves parviennent, malgré tout, à poursuivre leur chemin. Voici à nouveau des Blancs mieux armés. Ils abattent quatre esclaves. Les autres tournent bride pour s'enfuir. C'est la débandade. Turner et une quarantaine de survivants se planquent dans les bois toute la nuit. Leur première nuit de liberté et la dernière...
Rebelles débusqués et massacrés
Le lendemain matin, le pays grouille de planteurs armés jusqu'aux dents et de soldats accourus de partout. C'est la fin. Les rebelles sont débusqués et massacrés. Seule une poignée, dont Turner, parvient à s'échapper. Pour autant, le massacre ne s'arrête pas. Durant dix jours, des centaines d'esclaves complètement étrangers à la rébellion sont exterminés. Femmes et enfants sont abattus sans sommation. La réaction des fermiers est à la hauteur de leur peur. Il faut semer la terreur pour que plus jamais les esclaves n'osent prendre les armes. Ces deux massacres, aussi cruels l'un que l'autre, marquent les esprits pour des générations. Tous les affrontements violents à venir entre les communautés blanches et noires puiseront leurs racines dans la révolte sanglante de Nat Turner.
Aujourd'hui encore, on en voit les séquelles.
Turner parvient à échapper aux recherches durant deux mois. Enfin, le 31 octobre, un certain Benjamin Phipps le surprend dans une grotte, le capture et le remet aux autorités de Jérusalem. Compte rendu du chef de gare, correspondant local du Norfolk Beacon : "Durant son examen, il a fait preuve d'une grande intelligence et d'une grande finesse intellectuelle, répondant à chaque question clairement et distinctement, sans être confus ou utiliser des faux-fuyants. Il affirme avoir fait preuve de lâcheté et avoir agi sur commande sous l'influence du fanatisme. Il affirme que la tentative de soulèvement est entièrement de son fait, et n'était connue d'aucun autre nègre, hormis ceux à qui il s'est confié quelques jours auparavant et dont le nombre se monte à cinq ou six. Il reconnaît avoir mal interprété la révélation... il est maintenant convaincu qu'il a mal fait et conseille aux autres nègres de ne pas suivre son exemple."
"Je suis prêt"
Avant de le pendre, un procès est organisé pour la forme. On en profite pour juger encore une cinquantaine de suspects. Turner affirme n'avoir tué qu'une petite fille et plaide non coupable. Peu importe, la Cour le condamne à la pendaison "par le cou jusqu'à ce que mort s'ensuive". Le vendredi 11 novembre, entre 10 et 12 heures, Nat Turner, revêtu de haillons, est amené sous un vieux chêne noueux à proximité de Jérusalem. Le Moïse noir, comme il aimait se présenter, est tout à fait calme.
Un reporter assistant à l'exécution écrit : "Il ne trahit aucune émotion et semble même totalement prêt à affronter le terrible destin qui l'attend. Il presse même l'exécuteur d'accomplir son devoir." Tout autour, la foule ne cesse de grossir, impatiente de voir Turner se balancer au bout d'une corde. Le shérif lui pose la sempiternelle question : "Quelque chose à déclarer ?" Il répond laconiquement : "Je suis prêt." Alors, l'exécuteur lance la corde par-dessus une branche, lui enfile le noeud coulant et tire. Turner meurt sans qu'un de ses membres ou de ses muscles bouge. Une de ses visions lui a-t-elle montré Obama ?
Source : Le Point
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