“Une arrestation arbitraire, une atteinte à la liberté d’expression” lance d’emblée Aboubacry Mbodj (ici aux côtés de l’épouse de Kemi Seba) , secrétaire général de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme (RADHO). C’était samedi 27 septembre à l’occasion d’une conférence de presse organisée au siège de la Radho pour dénoncer l’incarcération de Kemi Seba, français d’origine béninoise qui pourfend depuis dix ans ce qu’il appelle la banalisation du racisme anti-noir par l’ Etat français.
L’arrestation est intervenue le 13 septembre à la sortie d’un meeting de présentation de son dernier livre, ” Black Nihilism”, accueilli par une foule nombreuse au théâtre de la Main d’Or, devenu à force de sketchs et de prises de positions, souvent qualifiées de radicales, le laboratoire de l’anti-conformisme français, le nouveau théâtre de résistance contre le prêt à penser politique de l’opinion dominante.
Tout juste après le meeting, la voiture de Kemi a été prise en filature avant d’être violemment percutée par derrière” témoigne Etuma Seba, épouse du fondateur de la Tribu Ka.
Il a fallu attendre le lendemain pour connaître le motif officiel de l’interpellation: une condamnation pour violence en réunion qui remonte en 2008-2009. La surprise est grande chez les proches de Kemi Seba. Car, depuis sa retraite stratégique au Sénégal, l’auteur de «Supra négritude » s’est rendu plusieurs fois en France sans se faire inquiéter. Une fois, il a même été arrêté par les policiers suisses et remis aux français lesquels, poursuit Mme Seba, l’ ont immédiatement relâché «estimant que tout était normal».
Du coup, la concomitance de cette arrestation surprise avec la sortie du “Black Nihilism”, troisième livre de Kemi Seba, devient suspecte. Cela d’autant plus qu’il y a, actuellement, une loi en cours en France interdisant l’incarcération pour les peines allant de 2 à 6 mois.
Plus troublant encore, la décision immédiate de l’isolement total de celui que l’avocat sénégalais à la cour, Amadou Kane, conseiller juridique de la Radho, qualifie d’un “intellectuel anti-système”. Les vêtements apportés par ses proches dès le lendemain ne seront remis à Kemi Seba que mardi. Idem pour les médicaments, qui ne lui parviendront que quatre jours plus tard alors qu’il est sous traitement.
C’est clair, “les idées de mon mari dérangent” lance Mme Seba qui cite de mémoire au moins douze procès intentés parfois par des organismes comme “SOS Racisme”, sans parler des comparutions immédiates pour “incitation à la haine raciale, racisme et antisémitisme”.
Sur la dizaine d’affaires qui lui valurent convocation, l’intellectuel franco-béninois a bénéficié de 10 non lieux. De l’acharnement, dites-vous ?
Ces procès n’avaient en général rien à voir avec les actes, ce sont des procès d’intention, poursuit Mme Seba qui refuse pour autant la posture victimaire: “mon mari est en prison pour les mêmes idées que Steve Biko, argue-t-elle invoquant cette figure cardinale de la lutte anti-apartheid morte en prison dans des conditions extrêmes.
De son arrestation le 13 septembre à sa rencontre avec son avocat, le 26 septembre, en dépit d’instances demandées, beaucoup d’eau a coulé sous la Seine. Kemi a déjà averti: il n’acceptera aucun réaménagement de sa peine en échange d’un vœu de mutisme.
Qui est donc Kemi Seba?
Le 26 juin 2004, un enfant de dix ans est abattu par un policier dans le 19 e arrondissement. Le policier a été aussitôt acquitté. Kemi Seba (né Stellio Capo Chichi) qui n’avait alors que 23 ans organise une manifestation en août 2004 pour dénoncer la banalisation de cette affaire.
Quelques semaines plus tard, le 11 septembre 2004, c’est devant l’ambassade du Soudan que Kemi organise un sit-in pour protester contre le génocide au Darfour. Ses idées gagnent une banlieue ghettoisée et mise à l’écart de la République. En 2005, des appartements habités par des noirs sont incendiés. En tout, 48 africains meurent. Des actes criminels qui ne dérangent pas la « bien-pensance » républicaine d’une France alors en débat sur les supposés bienfaits de la colonisation.
En octobre 2005, Kemi Seba organise la marche des Noirs en colère, demandant au gouvernement français de prendre ses responsabilités afin que les actes ne restent pas impunis. A l’époque, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, parlait de «nettoyer la banlieue au Kärcher» et Alain Finkielkraut, théoricien du racisme anti-blanc, raillait cette équipe de France Black-Black-Black.
Puis c’est l’affaire Ilan Halimi, enlevé, séquestré puis tué dans un appartement de Bagneux parce qu’il était juif. C’était le 20 janvier 2006. La France découvre effarée le «Gang des Barbares» via les médias, les tribunes politiques dans les grands journaux et les manifestations bleu blanc et rouge. En mai 2006, la ratonnade de deux africains, rue des Rosiers, par des miliciens juifs ne provoque que de rares indignations gênées et un traitement journalistique sous l’angle du fait divers. Kemi Seba qui rapproche les deux faits dénonce l’indignation sélective et déclare que dorénavant la Tribu Ka (fondée en 2004 et dissoute en 2006) ne restera pas sans agir.
La descente dans la rue des rosiers, le 28 mai 2006 avec le but d’affronter les organisations extrémistes juives comme Betar en réaction à la ratonnade des deux jeunes noirs, marque la vraie naissance médiatique de Kemi Seba qualifiée d’emblée d’antisémite. C’est avec cet épithète que la photo du jeune activiste est publié dans la plupart des journaux. «Nous sommes descendus rue des Rosiers non pas pour nous livrer à une chasse aux juifs comme le disent certaines sources dont l’AFP mais à la rencontre des milices juives comme le Betar qui agressent depuis quelques années et en toute impunité, tous ceux qui s’opposent à leurs idées et qui ont surtout agressé des noirs lors des manifestations commémorant la mort de Ilan Halimi », déclarait Kemi Seba sur internet, le seul réseau médiatique où il peut s’exprimer, boycotté comme Tariq Ramadan avant lui et Dieudonné maintenant des médias officiels français.
Les actes de provocation qui visent à susciter la médiatisation de Tribu Ka rebaptisée «Generation Kémi Seba » (dissout en juillet 2009 pour les mêmes motifs) donnent une image plutôt contrastée du mouvement qui n’est pas loin d’être associé à un groupe favorable à la discrimination raciale.
En mars 2007, Kemi Seba est condamné à la prison ferme pour outrage verbal parce qu’il a dit librement, estime son épouse, ce qu’il pensait alors du gouvernement français. Cette incarcération dénoncée par la Radho et les défenseurs des droits de l’homme est considéré comme une atteinte à la liberté d’expression dans beaucoup de capitales africaines.
Il y a d’abord eu Tariq Ramadan, diabolisé pendant longtemps pour son fameux moratoire sur la lapidation des femmes. Puis le cas Dieudonné, qui nargue le système et arrive à survivre à l’embargo médiatique grâce aux succès de ses pièces jouées à guichets fermés au théâtre de la Main d’Or. Il y a encore le cas Kemi Seba, objet de 12 procès. Les trois personnes sont qualifiées d’antisémites, un anathème brandi en direction de tous ceux qui osent critiquer la politique de l’Etat d’Israël ou encore une certaine politique de deux poids deux mesures qui vaut qu’une organisation comme le Betar soit tolérée au cœur de la République des droits de l’homme. Le 6 septembre dernier, le journaliste Aymeric Caron dans l’émission «On n’est pas couchés » diffusée sur France 2, apostrophait le philosophe Bernard Henri Levy en ces termes : Pourquoi ne vous entend-on pas dénoncer la politique de Benyamin Netanyahou qui a mené à la mort de 2.000 personnes dont les trois quarts sont des civils et 500 enfants?» Depuis, le journaliste et ses parents sous sous protection policière en réaction aux menaces de mort et à la divulgation de ses coordonnés sur internet. C’est presque dans l’ordre normal de la planète médiatique française qu’un Jean Claude Elfassi, paparazzi sioniste, surenchérisse : « Allons-nous encore supporter d’entendre sur une chaîne publique la haine du juif d’Aymeric Caron et Léa Salamé (qui participait à l’émission), ces deux islamo-gauchos antisémites ? Dernière en date, la saisie du CSA par le CRIF outré par les propos d’Aymeric Caron contre l’armée israélienne.
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